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Comment Medellin a transformé ses « quartiers difficiles » en vingt-cinq ans

Trafic de drogues, gangs, meurtres de policiers, violences contre les civils... ces drames urbains furent le quotidien de Medellin, troisième ville de Colombie située au Nord du continent sud-américain. Vingt cinq ans plus tard, le site de voyages TripAdvisor vient de l’élire en 2018 la destination d’Amérique du Sud la plus en vue, soulignant la sécurité qui y règne et sa réputation. La note vient aussi saluer la politique de la ville dans un pays près de deux fois plus étendu que la France. <> Des stratégies urbaines similaires peuvent-elles être suivies pour transformer les zones criminogènes en France ? Le rapport d’Olivier Midière sur Medellin dans le cadre du Digital Disruption Lab* fait en tout cas écho avec l’actualité française de ce mois-ci, rythmée par la ville de Saint-Denis, son passé face au terrorisme et ses violences encore aujourd’hui.

En Colombie, dans la région d’Antioquia, Medellin – une ville autrefois dirigée par la criminalité, le trafic de drogues et la guerre civile – s’est entièrement transformée ces vingt dernières années et est même devenue un exemple d’innovation urbaine. Après avoir été classée parmi les villes les plus violentes du monde dans les années 1990, en 2012, elle a été élue la plus innovante du monde.

Cette profonde transformation est le fruit d’un engagement exemplaire de la gouvernance sur plusieurs mandats – et ce quel que soit le bord politique des dirigeants – autour d’une vision commune : donner la priorité, par une planification sociale pionnière, aux populations et aux territoires les plus vulnérables. L’accent fût également porté sur l’innovation urbaine. En 2013, elle a reçu le prix de la ville «la plus innovante du monde» par le Urban Land Institute, récompensant sa vision écologique, ses purificateurs d’air et ses espaces verts.

La ville, qui compte 3,3 millions d’habitants, a ainsi mis en œuvre des solutions de mobilité créatives, avec une variété de services qui sont aujourd’hui uniques au monde. La politique de la ville consiste maintenant à créer des zones franches dans toute la province notamment pour attirer des entreprises de software.

Enfin, la municipalité a mis sur pied un programme Sciences, Technologies et Innovations destiné à attirer les investisseurs privés, locaux, nationaux et étrangers, qui court de 2012 à 2021. Un Pacte Medellin Innovation (signé par les géants technologiques, tel le chinois Huawei ndlr) a également été signé pour faire passer, d’ici trois ou quatre ans, le budget de la ville en matière d’innovation de 0,75 à 2 % de son PIB. Medellin a aménagé un quartier entier de la ville (Innovation District) consacré à l’innovation. L’objectif est de réunir les entrepreneurs, petites et grandes entreprises mais aussi institutions et étudiants dans des espaces dédiés aux investisseurs dans les domaines, notamment, de l’énergie, des nouvelles technologies de l’information et de la santé.

L’open data sociale

Ruta N est une structure emblématique de Medellin, publique-privée qui assure la transformation digitale de la ville. L’objectif est de transformer l’économie et la culture de la ville en offrant des services aussi bien aux étudiants, qu’au grand public ou aux entrepreneurs. Elle propose ainsi de la formation, un centre d’affaires, une expertise IT ainsi qu’un incubateur et un accélérateur de start-up. Elle a surtout constitué un réseau de structures partenaires au niveau local, national et international qui l’aident à développer ses projets, que ce soit en termes de coaching, de financement ou d’accélération.

La structure dispose également d’un fonds d’investissement de 10 millions de dollars – Ruta N Capital – qui investit principalement en seed capital sous forme d’avances remboursables, d’equity ou de subventions, mais avec une approche extrêmement sociale. Ruta N accompagne actuellement 160 start-up, et vient de lancer une plateforme intitulée Mi Medellin qui doit permettre aux citoyens d’accéder à tous types de services mais également à des données ouvertes qu’ils peuvent utiliser pour créer leurs propres services.

Grâce à son action Ruta N a permis la création de plus de 3000 emplois depuis 2012.

Le modèle public-privé

Au niveau national, l’innovation en Colombie provient essentiellement des universités même sil il y a encore peu de brevets déposés et de doctorants. On recense d’ailleurs dix universités de classe mondiale sur la centaine de structures d’enseignement supérieur que compte le pays. Chaque année, 3 000 informaticiens sont formés en Colombie, dont 12 % de femmes.

Le ministère des TIC (MINTIC) est le principal acteur de l’écosystème start-up en Colombie. Il assure la promotion de la création des start-up afin de trouver des solutions aux problèmes du pays et d’intégrer le numérique dans tous les domaines de l’industrie. Le ministère finance également des accélérateurs dans les différentes villes du pays avec une mise à disposition de méthodologies ad hoc.

Dans la capitale, à Bogota, il existe 22 000 entreprises TIC représentant 56 000 emplois dans le grand Bogota qui réunit 55 municipalités. En 2017, la ville a d’ailleurs lancé une plate-forme d’open data. Son plus grand cluster partenaire des universités réunit 473 acteurs de l’innovation.

Enfin, cette course vers l’innovation répond certes à un enjeu social. Mais elle vient plus certainement palier à la dépendance de la Colombie en matière de pétrole. En 2017, si son taux de croissance annuel a atteint 2,5 % et 3 % en 2017 (Le Moci), la production de pétrole représentait pas moins de 50 à 55 % de ses exportations. En même temps que sa transition vers un modèle innovant et social, la Colombie joue donc également une part de son avenir économique.

*Olivier Midière, Pauline Fiquémont, Digital Disruption Lab, avec Globaliz.
Sources : Ambassade de France en Colombie, Service économique régional de Bogota, Cap Digital, Trésor.